Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage [Ophélia Di Fentys]

Stefen me tuerait s’il savait que j’étais descendu seule dans les quartiers bas. Il n’aime pas, il n’aime pas que je m’éloigne de la maison que je sorte sans lui, il craint trop que Hécate fasse son apparition en publique, elle qui ne gêne pas pour se défendre grâce à cette malédiction dont elle est la conséquence. Mais aujourd’hui, je me sens bien, le soleil n’a pas tapé trop fort en ce jour, on va même dire qu’il est supportable. Je le sais puisque j’ai passé le plus clair de mon temps dehors aujourd’hui à prendre des photos pour la suite de ma bande dessinée. J’ai fais quelques croquis aussi, la sacoche en bandoulière, crayonnant de ci de là au grès de mon humeur. Je n’ai pas cherché à m’habiller correctement, en vérité, j’ai enfilé un jean, des chaussures à talon, gardant la chemise de travail que j’utilise pour peindre et je suis sortie. Les lunettes sur les yeux, je regarde la devanture du bar, elle est plutôt sympa, un cliché, puis un autre avant que je ne me décide à rentrer.

*Je m’ennuis Ophélia, je n’aime pas que tu nous sortes, c’est dangereux ses rues désormais pour toi ma belle*

Hécate veut rentrer par simple esprit de protection, elle est dangereuse certes mais pour une seule raison : moi. Elle sait que je refuse de me défendre, elle aime elle aussi Stephen et pense au mal que cela lui ferait si nous disparaissions. Elle ne veut pas de cette idée.

*J’ai besoin de photo pour mes dessins, d’inspiration, tu le sais bien, je ne risque rien si tu te tais et que tu me laisses en paix. C’est toi seule qui peut nous mettre en danger*

*Non c’est toi, je te rappel que tu ne maîtrise pas tes émotions et c’est pour cela que j’apparais, idiote*

Ouvrant la porte, je reste un instant pensive face à cette réponse. Un petit doute m’assaille, je ferais mieux de rentrer, mais je veux voir l’intérieure, quelques secondes suffiront. En espérant que la lumière ne soit pas trop vive à l’intérieur…
Défaisant mes cheveux pour me couvrir en quelques sortes de leurs épaisseurs noirs, je pénètre dans le bar, mes yeux s’accoutumant avec difficulté. Je vois plutôt mal en ce moment et je suis obligée de laisser un peu les ombres me guider, je n’aime pas cela, mais je n’ai pas le choix.

J’observe le bar dans un sourire, parfait c’est ce que je cherchais, en l’arrangeant un peu à ma sauce ce sera parfait. Je redresse l’appareil photo et flash quelques coins avant de me diriger vers le bar, m’asseoir et regarder la jeune femme derrière.

Je m’assois au bar, un peu distraite, mon regard ne cesse d’aller et venir sur les détails, quelques petites choses que je mémorise. J’ai besoin de voir les quartiers bas et leurs bars pour pouvoir donner plus de réalisme à ma deuxième bande dessinée. Je n’ai aucune date limite pour rendre mon travail, mon éditeur le sait, je ne peux pas travailler si j’ai des dates butoirs. Il a reçut l’esquisse de mon œuvre il y a un an et je l’ai bouclé en six mois après qu’il ait levé les dates exécutoires. Stefen y a été pour beaucoup, il a assuré l’argent en douce pour que l’on me croit capable de rapporter plus à la maison d’édition. Au final l’éditeur a été convaincu de ne pas m’imposer de date.
La suite des aventures de l’ombre commencent peu à peu, je ne vous ai pas raconté l’histoire. Il s’agit d’une héroïne, ni bonne, ni mauvaise, elle est capable de bouger les ombres, de faire bien plus ce que je fais sans faiblesse et est surveillée par un homme étrange, relation amoureuse spécifique. Il est toujours là quand elle doute, quand elle fait une erreur et la sauve tandis qu’elle traverse ce monde comme une ombre, une femme torturée en quelques sortes. Moi et Hécate.

*On te parle*

Hécate est méfiante, je le sens. Elle se rébiffe presque à l’entente des paroles de la serveuse ou barmaid. Je lui souris cependant, un peu timide, je lui souffle.

-Excusez moi, je ne savais pas qu’il fallait demander l’autorisation. Ma voix est douce, frêle, un peu timide.

Je ne suis pas une femme très sociable intimement parlant, je n’ai que Stefen qui arrive à m’approcher, uniquement lui. Il est tendre, capable de me rassurer en quelque mot ou simplement par sa prestance, mais il faut le dire, je ne suis jamais sortie seule sans lui depuis que je suis devenue Ophélia di Fentys.
Mais avec la bande dessinée, j’en ai eu marre d’attendre qu’il sorte du travail pour m’emmener là où je devais me rendre pour mon travail. J’ai du donc désobéir un peu à mes propres habitudes. Peut être est ce une idiotie, par les temps qui cours mais Hécate est là.

*Oui je suis là espèce d’imbécile*

Je ne l’écoute pas, perdant un instant ma timidité, je regarde la jeune femme. Sortant mon bloc d’esquisse et un crayon je lui demande.

-Je peux vous dessiner ? Oh, je consommerais mais je fais des esquisses pour mon travail, j’ai besoin d’inspiration, cela vous dérange ?

Je lui souris timidement, je ne suis pas à l’aise, vraiment, avec les autres personnes. Mais il faut que je me calme, ce n’est rien de plus qu’une conversation, personne ici ne sait qui je suis en vérité, Christina Palerme, enfin que j’ai été cette gamine, et personne ne sait que je suis une mutante. Cela ne s’affiche pas sur mon visage.

Je trouve étrange d’interdire de faire des photos. Oh peut être craigne-t-il un mauvais article dans un journal. C’est compréhensible en fait. Je la regarde essayant de sourire timidement, je ne suis vraiment pas à l’aise avec les autres. Il faut avouer en même temps que le reste de l’humanité et moi n’avons jamais eu de rapport fort agréable. Brimades, agressions, Christina s’est habituée à ne jamais rien n’attendre d’agréable, enfin, Christina n’est plus, je le sais bien, mais elle hantera toujours un peu mon esprit. On ne peut oublier une vie si facilement même si mon existence avec Stefen vaut plus que tout à mes yeux. Si j’étais séparée de lui, je crois que Hécate serait la seule à rester en vie.

-Oh non non. C’est pour moi, je suis dessinatrice, j’ai besoin de vagues idées. Mais je ne reproduirais pas à l’exactitude ce bar.

*Tu as finis de te justifier Ophélia ? C’est fatiguant à supporter. *

Hécate réagit encore, elle n’aime pas que je me rabaisse en justification, ni que je sois aussi timide. Ce n’est pas dans sa nature à elle. Elle me reproche souvent ce genre de chose, mais je ne peux pas être autre. Je suis ainsi, ma nature, j’ai toujours été comme cela du plus loin que je me souvienne. Solitaire, timide, refermée sur moi-même, ne m’évadant que par le dessin en imaginant une autre vie à travers ce que je fais.
Je veux la dessiner, oh pas sûr que je l’utilise pour mon œuvre mais je peux lui donner le portrait après si elle veut. Je m’en fiche, une fois que j’ai mis quelqu’un sur papier, je m’en souviens dans les moindres détails, mémoire photographique dirait mon époux.

Une autre jeune femme dit quelque chose, je m’en préoccupe pas, sortant déjà le nécessaire pour crayonner. J’observe le papier plan, le crayon avant de redresser mon visage. Je lui souris avec plus de confiance cette fois-ci, dans l’art je n’ai aucune timidité.

-Non, je n’ai pas besoin de cela, vous pouvez faire votre travail. Le crayon se pose sur le papier, ma main doucement commence son travail. Un trait est tracé et je lui souffle concentrée. Un gin tonique.

Hécate s’est permise de commander à ma place, je ne réagis pas, ce n’est pas le moment de me disputer mentalement avec elle. Elle sourit, mes lèvres se laissent faire avant que je ne me racle la gorge et me concentre de nouveau.

*Hécate…*

*Oui ?*

Elle s’amuse à me provoquer, mais n’y parviendra pas bien au contraire. Je suis déjà concentrée sur mon dessin, rapidement son visage prend forme sous mon crayonné. Faire ressortir ses yeux, jouer d’ombre pour rendre le dessin plus vivant, d’un geste rapide, précis, habituel.

Lorsque je dessine, j’oublie malheureusement le monde qui m’entoure, je me concentre uniquement sur le modèle et ne fait plus cas de ce qui se passe autours. Un bon moyen pour que mon pouvoir se glisse hors de moi et fasse trembler les ombres, un léger vacillement bien sûr, comme si un vent léger soufflé. Hors Hécate veille, surveille et fait bien attention à que rien ne se passe. Elle ne supporterait pas plus que moi de faire de la peine à Stephen, si je me faisais trahir, alors tout ce que nous avons construit risque de s’écrouler. Tout ce qu’il a construit pour moi plutôt. A notre petite vie, il ne manque qu’un enfant, un bout de chou, mais j’ai bien trop peur qu’il naisse mutant, bien trop peur…
Sous les coups de crayons ses yeux prennent vie sur le papier. J’accentue le regard, je le porte doucement au plus proche de la réalité, mon visage est fermé, concentré, l’art accapare bien vite toute ma personnalité et je ne peux jamais me retenir. Hécate s’évince quand cela arrive, en vérité, nous nous fondons l’une en l’autre et plus rien ne peut nous déranger.

Redressant mon visage à sa question, je souris doucement, les traits de mon regard sont doux, moins craintif, plus empli d’assurance.

-Je suis dessinatrice et j’ai réalisé une bande dessinée il y a peu. Les aventures de l’ombre. J’aime bien dessiner des personnes rencontrées au hasard, pour m’inspirer de quelques traits de leur visage. J’aime particulièrement vos yeux. Attrapant le verre. Merci.

Elle s’éloigne, je continue mon dessin, délicatement, je porte le verre à mes lèvres, le gin glisse à ma gorge et le verre retrouve sa place sur le comptoir. Redressant mon regard pour chercher la serveuse du regard, je me tourne légèrement et tournant la page rapidement, commence à esquisser les traits de ce petit tableau tout simple, elle et les deux clients…